Après l’acquisition l’an dernier de la société montpelliéraine Medtech par Zimmer Biomet, 2017 a vu un autre acteur industriel majeur américain – Stryker Corporation – s’offrir une pépite française du secteur : la société Vexim spécialisée dans la création et la commercialisation de solutions mini-invasives pour traiter les pathologies traumatiques de la colonne vertébrale.
Charles Cardon, Avocat, Dechert LLP |
Quentin Durand, Avocat, Dechert LLP |
Gestion de l’information privilégiée
La première d’entre elle réside dans le traitement de l’information privilégiée. Depuis l’entrée en vigueur du règlement européen « MAR » sur les abus de marché en juillet 2016, les obligations des sociétés cotées mais aussi de leurs actionnaires et dirigeants ont été renforcées en la matière avec notamment la mise en place de liste d’initiés sous un format normé.
Une attention particulière doit de ce fait être portée sur la rédaction des accords de confidentialité à conclure entre les parties qui doivent comprendre certaines mentions requises par l’Autorité des marchés financiers (AMF).
Par ailleurs, les travaux de due diligence sur une société cotée s’inscrivent dans un cadre réglementaire strict, contrairement aux audits portant sur des cibles non cotées.
Deux phases doivent ainsi être distinguées :
- L’audit préliminaire, établi sur la base des informations publiques, à l’issue duquel le candidat sera en mesure d’adresser à l’attention de la cible et de ses actionnaires de référence une lettre d’intention qui doit selon l’AMF « témoigner de son intention de réaliser une opération financière et du sérieux de son projet »[1],
- L’accès à une data room une fois adressée cette lettre d’intention. La data room pourra inclure des informations plus détaillées que celles figurant dans la documentation publique. Peuvent également figurer en data room des informations « privilégiées»[2] , d’une importance significative et qui n’auraient pas encore été portées à la connaissance du marché, l’émetteur pouvant se prévaloir d’un des motifs de différé de publication[3]. Ces informations ne peuvent être mises en data room qu’à condition d’être également communiquées au marché concomitamment à l’annonce de l’opération afin de rétablir l’égalité d’information des acteurs[4].
Ces deux modalités revêtent une importance majeure dans le processus d’offre publique.
En cas d’acquisition pure et simple d’un bloc significatif, le risque d’offre concurrente par un autre candidat sera réduit, voire éliminé si l’initiateur a acquis la majorité du capital. A contrario, l’acquéreur devra obtenir les éventuelles autorisations nécessaires en matière de la concurrence préalablement à l’acquisition du bloc, ce qui pourra retarder le processus d’offre publique. En outre, en cas d’acquisition d’un bloc minoritaire, l’acquéreur prendra le risque de détenir une participation ne lui conférant pas le contrôle si peu d’actions sont apportées à l’offre publique.
En cas d’acquisition conférant à l’actionnaire une participation supérieure à 30% du capital ou des droits de vote, l’initiateur se trouvera en situation d’offre publique obligatoire, avec un contrôle du prix par l’AMF.
En cas d’engagement d’apport, l’initiateur n’acquiert la propriété des titres des actionnaires de référence qu’au moment du règlement livraison de l’OPA, c’est-à-dire concomitamment aux actions apportées par les autres actionnaires. S’il n’atteint pas alors le seuil de caducité (fixé à 50% du capital social ou des droits de vote), voire du seuil de renonciation fixé librement par l’initiateur et en deçà duquel l’offre n’aura pas de suite, l’initiateur n’acquerra aucune action et ne se retrouvera pas actionnaire minoritaire de la cible. En contrepartie, afin de respecter le libre jeu des offres de leurs surenchères[5], l’Autorité des marchés financiers impose que les engagements d’apport soient révocables en cas d’offre concurrente. Ainsi, l’initiateur doit accepter le risque que les actionnaires ayant consenti l’engagement d’apport cèdent leurs titres à un concurrent en cas d’offre publique mieux-disante.
L’acquéreur devra donc apprécier au cas par cas comment structurer juridiquement mieux son opération pour optimiser ses chances de succès, en fonction notamment de l’existence de potentielles offres concurrentes.
Modalités techniques de la transaction
En présence d’une acquisition de bloc majoritaire préalablement à une offre publique d’acquisition obligatoire, l’acquéreur devra également apporter un soin particulier aux modalités de transferts des titres et des flux financiers.
En effet, le passage par le marché et le carnet d’ordre central, de même que par des ordres hors marché exécutés par des brokers, soumet mécaniquement la transaction à un délai de règlement livraison de J+2. Ce délai soulève des difficultés dans ce type de transaction car l’acheteur et le vendeur ne voudront annoncer publiquement l’opération qu’après sa réalisation, qui nécessite donc une exécution instantanée.
Il est techniquement possible de s’affranchir de l’obligation de règlement-livraison à J+2 en procédant à des transactions hors marché, par inscription des titres sur le compte d’actionnaire de l’acheteur simultanément au paiement du prix. Cette structuration nécessite d’organiser la cession en coopération avec le teneur de compte titres de la cible. Un travail technique important devra être mené en amont, avec notamment le passage de l’ensemble des titres à céder dans une détention au nominatif pur et l’ouverture de comptes (soumis à la procédure KYC), ainsi que la mise en place d’une procédure d’exécution des différents flux, tant financiers que mouvements de titres, précise.
Si les sociétés cotées sur Euronext Paris, notamment celles exerçant dans le secteur de la santé, constituent des opportunités attractives aux yeux des potentiels acquéreurs, ces opérations d’acquisition nécessitent une préparation et une structuration juridique pour optimiser leurs chances de succès.
[1] Guide de l’information permanente et de la gestion de l’information privilégiée, Autorité des marchés financiers, 26 octobre 2016, p. 47.
[2] Au sens du règlement européen n° 596-2014, une information privilégiée est « une information à caractère précis qui n’a pas été rendue publique, qui concerne, directement ou indirectement, un ou plusieurs émetteurs, ou un ou plusieurs instruments financiers, et qui, si elle était rendue publique, serait susceptible d’influencer de façon sensible le cours des instruments financiers concernés ou le cours d’instruments financiers dérivés qui leur sont liés ».
[3] Aux termes de l’article 17.4 du règlement MAR, tout émetteur peut, sous sa propre responsabilité, différer la publication d’une information privilégiée à condition que toutes les conditions suivantes soient réunies: a) la publication immédiate est susceptible de porter atteinte à ses intérêts légitimes; b) le retard de publication n’est pas susceptible d’induire le public en erreur; c) l’émetteur est en mesure d’assurer la confidentialité de ladite information.
[4] Guide de l’information permanente et de la gestion de l’information privilégiée, Autorité des marchés financiers, 26 octobre 2016, p. 48.
[5] Article 231-3 du règlement général de l’Autorité des marchés financiers.